De 1985 à 2024, soit pendant près de 40 années, la directive sur la responsabilité du fait des produits défectueux a encadré le régime de responsabilité sans faute des producteurs et des fabricants. Leur responsabilité et l’obligation de venir réparer le dommage causé par un produit était alors engagée lorsque celui-ci n’offrait pas la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s’attendre.
Publiée 18 novembre 2024 après avoir été adoptée par le Parlement et le Conseil le 10 octobre dernier, la nouvelle Directive (UE) 2024/2853 est venue changer les règles de responsabilité et étendre son champ d’application, emportant de lourdes conséquences sur l’innovation en santé et la protection du consommateur.
La nouvelle directive met en lumière les évolutions liées aux nouvelles technologies et notamment les logiciels et les systèmes d’intelligence artificielle.
Elle modifie également les contours de la responsabilité en créant une présomption de défectuosité dans certaines circonstances : « Afin de resserrer encore le lien étroit qui existe entre les règles en matière de sécurité des produits et celles en matière de responsabilité, le non-respect de ces exigences devrait également donner lieu à une présomption de défectuosité. Tel est notamment le cas lorsque les produits ne sont pas équipés de moyens permettant de consigner des informations sur leur fonctionnement comme l’exige le droit de l’Union ou le droit national. Il devrait en aller de même en cas de dysfonctionnement évident ».
La présomption, ce mécanisme juridique permettant de considérer un fait comme vrai tant qu’il n’a pas été rapporté la preuve contraire, a pour objectif de protéger celui qui en bénéficie : ici, le consommateur. Bien qu’elle ne puisse être invoquée que dans certaines situations, notamment de non-conformité du produit aux exigences nationales et européennes, cette nouvelle présomption représente un risque pour l’innovation en santé et surtout les start-ups.
En effet, les jeunes entreprises innovantes dans le secteur du dispositif médical qui souhaitent avoir accès au marché européen doivent obligatoirement obtenir le marquage CE, permettant d’évaluer leur conformité aux exigences européennes. Or, le marquage CE peut représenter un premier point de blocage pour les start-ups en raison de son coût et des ressources nécessaires à son obtention. L’impossibilité d’accéder au marquage CE fait ainsi peser un risque pour l’entrepreneur qui aura davantage de difficultés à convaincre un investisseur de lui faire confiance.
De la même manière, les investisseurs seront plus prudents : la mise en place d’une présomption de défectuosité en cas de non-conformité créera un risque plus important de contentieux et pourra être un argument de recul de l’investissement. Ainsi, il est probable que les jeunes entreprises innovantes dans le marché du dispositif médical aient davantage de difficultés à innover et à faire croître leur innovation alors qu’elles sont pourtant essentielles à la création de nouveaux produits.
Cette réforme intervient dans un secteur déjà en tension, face à la complexité des nouvelles réglementations en matière d’IA en santé pesant sur les entreprises (IA Act, Medical Device Regulation 2017/745, …), autant de nouveaux textes générant des difficultés de lecture, d’analyse, de mise en application et de coût pour les entreprises. La directive européenne 2024/2853 s’inscrit pour l’écosystème de la santé comme une brique supplémentaire faisant peser de nouvelles contraintes financières et d’adaptations réglementaires pouvant freiner l’innovation.
Pourtant, la protection du consommateur est un enjeu essentiel et passe par une confiance et une transparence, aujourd’hui garants de l’évolution technologique. Même si son développement depuis 1940 n’avait jamais conduit à un encadrement orienté vers cette protection, l’arrivée de la notion de garantie humaine, d’éthique de l’IA et de régulation positive ont dessiné les premiers contours d’une nouvelle vision de l’IA en santé et de l’innovation qu’elle sous-tend, celle d’une innovation qui rassure le citoyen et le protège des dérives de la technologie.
En ce sens, la réforme vient ouvrir la voie à une nouvelle forme d’indemnisation des dommages vis-à-vis de l’usager qui subirait un préjudice du fait d’un produit défectueux dans son article 6. Le droit à réparation s’étend ainsi, outre la mort ou les lésions corporelles, à :
-la destruction ou la corruption de données qui ne sont pas utilisées à des fins professionnelles ;
-l’atteinte médicalement reconnue à la santé psychologique ;
Cette dernière catégorie de dommage permettrait de faciliter l’indemnisation d’un préjudice d’anxiété très souvent requis par les victimes, dans un contexte général plutôt favorable à l’indemnisation des victimes au contentieux. Toutefois, le manque de recul actuel sur la mise en application de cette réforme ne permet pas encore de savoir quels montants pourront être sollicités et octroyés.
Un suivi rigoureux de l’application pratique de cette réforme et de ses répercussions sur les victimes comme sur les entreprises sera indispensable pour évaluer si elle parvient à concilier protection des usagers et pérennité de l’innovation en santé.