Elle s’inscrit dans les préconisations de la feuille de route interministérielle 2024-2034 (qui recommande l’intégration de solutions numériques pour optimiser les prescriptions). Une innovation précieuse dans la lutte contre l’antibiorésistance, saluée par les premiers utilisateurs, comme ceux du CHRU de Nancy.
ZINC : ANTICIPER LES RISQUES INFECTIEUX PLUTÔT QUE RÉAGIR
Au sein des équipes opérationnelles d’hygiène, la vigilance est permanente. Jusqu’à récemment, les alertes arrivaient souvent trop tard, lorsqu'une épidémie était déjà déclarée. « Nous étions régulièrement alertés par les services après l’apparition de cas groupés, une fois que l’épidémie était en phase active », confie Arnaud Florentin, médecin de santé publique au CHRU de Nancy et maître de conférences à l’université de Lorraine. L’analyse reposait bien souvent sur un suivi simple des résultats de laboratoire et se concentrait sur les prélèvements bactériologiques ou sur le suivi de patients porteurs d’une bactérie hautement résistante aux antibiotiques. Les équipes d’hygiène avaient alors tenté d’automatiser le lien avec le laboratoire mais le logiciel de gestion restait peu adapté. Pour y remédier, le service territorial de prévention du risque infectieux du CHRU de Nancy s’est équipé du module ZINC de Lumed. Depuis sa mise en production en octobre 2022, la donne a changé : le module centralise et analyse en temps réel des milliers de données (prescriptions, résultats de biologie, mouvements de patients...) pour générer différents types
d’alertes (admission, réadmission à risque, sortie d'établissement, mouvement de lit, cas suspecté). Un outil indispensable pour prévenir les épidémies, cartographier les risques infectieux et identifier rapidement les micro-organismes concernés.
Pour cela, l’hôpital s’est engagé dans une véritable transformation. « Il fallait passer des fichiers Excel à une solution automatisée capable de gérer des volumes de données impossibles à traiter manuellement », poursuit Arnaud Florentin. Le CHRU de Nancy a été site pilote pour ZINC, participant à son adaptation au modèle français. Le déploiement s’est déroulé en deux phases : paramétrer la solution pour refléter les besoins des hygiénistes et connecter les flux avec le système d’information de l’hôpital. Malgré quelques réticences initiales, les équipes ont rapidement
adopté l’outil. « Son interface ergonomique et intuitive a tout changé », souligne Julie Lizon, pharmacien hygiéniste. Aujourd’hui, ZINC est au cœur de leur organisation : « C’est l’élément central de notre activité quotidienne. » L’hôpital a même désigné un super utilisateur chargé d’harmoniser les données et de collaborer avec bioMérieux pour les mises à jour.
UNE RÉVOLUTION AU QUOTIDIEN
Dès le matin, les équipes consultent le tableau de bord de ZINC. Ce dernier affiche clairement les alertes déclenchées par des critères définis en amont (résultats de laboratoire, prescriptions inhabituelles, arrivée d’un patient à risque, etc.).
Ces critères sont issus à la fois des recommandations des sociétés savantes comme la SF2H (Société Française d’Hygiène Hospitalière) mais aussi des pratiques spécifiques à l’établissement hospitalier. Grâce à ZINC, il est possible d’identifier rapidement le patient zéro, de retracer ses hospitalisations et de suivre ses interactions avec d’autres patients. « Dans une épidémie, cela peut représenter des milliers de patients. Manuellement, ce serait impossible », explique Arnaud Florentin.
En seulement dix mois d'utilisation de ZINC, 4 944 alertes ont été émises, avec 4 091 traitées, contre seulement 426 alertes saisies manuellement sur les vingt-six mois précédents (Source : Hôpitaux Sud Lorraine).
Parmi ces alertes, 25% ont nécessité un audit, soit 666 enquêtes menées. Cette automatisation a considérablement amélioré la qualité des soins, notamment en réduisant le délai entre l’émission et la prise en compte des résultats positifs.
Dans les services, les infirmières utilisent des tablettes équipées de ZINC pour répondre aux enquêtes directement sur le terrain, sans transcriptions fastidieuses. « C’est un gain de temps immense », confirme Julie Lizon.Et ZINC ne se contente pas de simplifier le travail des hygiénistes : il transforme leur manière d’opérer. « C’est l’hygiène 2.0 », conclut Julie Lizon. L’automatisation des processus et l’accès à des données fiables permettent une gestion proactive.
Les équipes sont plus rapides et plus précises dans le traitement des données. Ainsi, elles consacrent davantage de temps à l'accompagnement et à la formation des professionnels, ouvrant de nouvelles perspectives pour optimiser les soins et prévenir efficacement les infections nosocomiales.
APSS : LA LUTTE CONTRE L’ANTIBIORÉSISTANCE
Tandis que ZINC couvre les besoins de gestion des équipes d’hygiène, le second module de Lumed, APSS (Antimicrobial Prescription Surveillance System), joue un rôle clé dans la vérification des prescriptions.
Il s’inscrit parfaitement dans la lignée de la feuille de route interministérielle 2024-2034. Ce plan, qui vise à lutter contre l’antibiorésistance, préconise l’intégration de solutions numériques pour optimiser les prescriptions. APSS répond parfaitement à cet enjeu en automatisant l’analyse des prescriptions antibiotiques, grâce à une centralisation et une mise en relation intelligentes des données de soins.
Intégrée à l’hôpital universitaire de Sherbrooke dès 2010, la solution APSS développée par une équipe multidisciplinaire dirigée par Louis Valiquette, microbiologiste et infectiologue, est née d’un constat : les ressources humaines spécialisées ne suffisent pas pour analyser toutes les prescriptions. À Sherbrooke, on dénombre jusqu’à 200 prescriptions antibiotiques par jour.
Une vision synthétique des données clés du patient pour une meilleure prise en charge
L’écran Lumed (module APSS) offre aux équipes d’Antimicrobial Stewardship (AMS) une vue d’ensemble claire et concise des informations clés relatives à un patient. Cet outil innovant permet d’identifier rapidement les recommandations pour optimiser une prescription non optimale. Grâce à une analyse approfondie des données mises en avant, les équipes médicales peuvent réévaluer chaque cas et, le cas échéant, ajuster le traitement pour garantir une prise en charge adaptée et efficace.
Leur analyse exige de croiser de multiples informations : résultats de biologie, comptes-rendus radiologiques, mouvements de patients, traitements en cours... Un travail de 30 à 45 minutes par prescription, rendant le processus chronophage, inégal et peu standardisé. « L’idée était de centraliser toutes les données sur un tableau de bord, pour automatiser le processus et prioriser les cas nécessitants une intervention, » explique Louis Valiquette. Ainsi est né APSS, un système d’alerte intelligent qui recoupe les données cliniques, applique les règles d’antibiothérapie et qui dispose aujourd'hui d'un marquage CE.
Par la suite, APSS a conduit à la création de Lumed, en collaboration avec Mathieu Beaudoin et Vincent Nault.
Cette compagnie est dédiée à l’amélioration des soins par le développement de systèmes d’aide à la décision innovants.
Au cœur d’APSS se trouve une base de connaissances scientifique qui intègre des règles d’antibiothérapie rigoureuses. Ces règles permettent, par exemple, d’éviter les prescriptions redondantes : si deux antibiotiques sont actifs contre une même bactérie, APSS identifie celui dont le spectre est le plus adapté.
Les équipes de Lumed enrichissent et mettent à jour ces bases, tout en les personnalisant pour chaque pays et établissement. Les pratiques médicales et molécules disponibles variant d’un contexte à l’autre, cette adaptabilité garantit la pertinence des alertes générées. Chaque nouvelle version des bases de connaissances est partagée avec le réseau des utilisateurs d’APSS, créant un cercle vertueux d’amélioration continue.
Parallèlement, Lumed accompagne les établissements dans le déploiement de la solution, notamment pour paramétrer les alertes, appliquer les règles de redondance et définir les filtres qui priorisent les patients les plus à risque.
DES RÉSULTATS TANGIBLES POUR UNE MÉDECINE PLUS DURABLE
Avec APSS, les hôpitaux bénéficient d’une réduction mesurable des risques et des coûts. À l’hôpital universitaire de Sherbrooke, son déploiement a permis une baisse de 24 % de la consommation d’antibiotiques en trois ans. La durée moyenne des hospitalisations
de patients sous antibiotiques a été réduite de deux jours, et les coûts associés diminués de 28 %.
Mais les gains ne se limitent pas à ces chiffres. APSS améliore significativement la qualité des soins. La réduction des effets secondaires inutiles diminue la mortalité et les douleurs des patients. L’outil limite également les prescriptions d’antibiotiques à large spectre, responsables de l’augmentation de la résistance des bactéries. Enfin, il réduit le recours aux antibiotiques par voie intraveineuse, souvent source d’infections secondaires et incompatibles avec les soins à domicile.
Déployé dans environ 50 hôpitaux représentant 13 000 lits, APSS aide à harmoniser les pratiques et renforce la lutte contre l’antibiorésistance. En optimisant les prescriptions, il limite la transmission des bactéries résistantes et évite la surutilisation des antibiotiques à large spectre. « L’administration répétée d’antibiotiques exerce une pression sélective sur les bactéries, favorisant l’émergence de souches résistantes », explique Louis Valiquette. Cette pression se produit lorsque des antibiotiques sont utilisés de manière excessive, tuant les bactéries sensibles et laissant les résistantes se multiplier, rendant les infections plus difficiles à traiter.
En ciblant mieux les prescriptions, APSS réduit cette pression et garantit un usage durable des antibiotiques. En combinant expertise scientifique et automatisation, APSS permet de porter à un niveau supérieur l’encadrement des antibiotiques et contribue à lutter contre l’antiobiorésistance.